Utiliser ses doigts à 8 ans pour additionner : stratégie immature ou adaptative ?
Les résultats des évaluations mathématiques internationales (OCDE, 2023) mettent l’accent sur les difficultés mathématiques des enfants français. Les stratégies utilisées dès le début du calcul nécessitent d’être davantage étudiées pour mieux en comprendre les déterminants et les effets, mais aussi dans une perspective de formation professionnelle des enseignants. L’utilisation des doigts est une stratégie qui interroge la recherche en psychologie et l’éducation. Les enfants entre 4 et 6 ans qui utilisent ou ont utilisé leurs doigts pour calculer ont de meilleures performances que leurs pairs qui ne les utilisent pas ou ne les ont pas utilisés dans cette période (Krenger & Thevenot, 2024). L’utilisation des doigts est donc associée à la réussite en calcul chez les jeunes enfants, mais également à un manque de réussite chez les enfants plus âgés, avec une association négative entre utilisation des doigts et réussite en calcul vers 8 ans (Jordan et al., 2008). Cette association négative à 8 ans ne permet cependant pas de savoir si l’utilisation des doigts joue un rôle dans la faiblesse de la performance, ou si les résultats des enfants de 8 ans seraient encore dégradés sans l’aide des doigts. Il apparaît donc nécessaire de comprendre si l’utilisation des doigts est une aide ou un obstacle à la réussite en calcul mental des enfants de 8 ans, comparativement aux enfants plus jeunes.
Nous avons ainsi comparé la performance en calcul mental additif de 90 enfants de 5 à 8 ans, scolarisés en Grande Section, CP et CE1, dans trois conditions expérimentales inspirées de la méthodologie «choice-no choice» (Siegler & Lemaire, 1997) : (a) une condition libre dans laquelle l’utilisation spontanée des doigts était observée, (b) une condition «doigts imposés» et (c) une condition «doigts interdits». Les trois conditions visaient à déterminer si la liberté d’utilisation et de non-utilisation des doigts au sein de la tâche de résolution des items apportait de meilleurs résultats qu’une incitation pédagogique à utiliser ou à ne pas utiliser les doigts. Nous avons également fait varier la difficulté des items, composés pour moitié de sommes inférieures à 10 et pour moitié de sommes comprises entre 11 et 17.
Nos résultats montrent que les enfants de 8 ans utilisent spontanément les doigts pour additionner, et qu’ils les utilisent en fonction de l’item à résoudre. Ils obtiennent de meilleures performances lorsqu’ils sont libres de leur stratégie.
Notre étude montre ainsi que l’utilisation des doigts est une stratégie mise en œuvre de façon adaptative, et que l’utilisation des doigts a encore toute sa place à 8 ans pour les calculs plus difficiles, même si la transition vers des stratégies non visibles est déjà bien engagée.